OPINION – Le Canada doit mettre fin aux mariages d’enfants maintenant

paru le17 février, 2023 dans le Globe and Mail

(Traduction)

David Matas est un avocat international des droits de la personne basé à Winnipeg et membre du conseil d’administration d’Au-delà des frontières ECPAT Canada, une organisation qui défend le droit des enfants de vivre à l’abri de l’exploitation sexuelle.

Entre 2000 et 2018, environ 200 enfants, en majorité des filles, ont été mariées chaque année au Canada – généralement à des hommes beaucoup plus âgés. Cette statistique, tirée d’une étude de l’Université McGill, a été établie à partir des dossiers gouvernementaux des 13 provinces et territoires.

Les statistiques ne nous disent pas combien parmi ces enfants ont subi des pressions ou ont été contraints à un mariage précoce. Selon les experts dans le domaine, la pandémie a fait grimper ce nombre depuis, et les filles en sont les victimes de manière disproportionnée.

Les enfants méritent une enfance sûre et sécure. Sur le plan du développement, les conséquences du mariage d’enfants peuvent être dévastatrices. Les enfants qui sont mariés possèdent souvent des niveaux d’éducation inférieurs et vivent dans des conditions de pauvreté plus importantes. Lorsque ces personnes intègrent le marché du travail, elles sont facilement exploitées. De plus, les filles mariées très jeunes sont plus susceptibles de vivre des grossesses non désirées et de connaître des taux de mortalité maternelle plus élevés. Aussi, elles sont plus susceptibles d’être suicidaires et victimes de violence domestique.

Au Canada, à l’âge de 16 ans, les enfants peuvent se marier en toute légalité. C’est une injustice. La loi canadienne ne devrait pas permettre les mariages d’enfants, point final. Depuis 2015, il existe une législation stipulant que les enfants ne peuvent pas être forcés de se marier contre leur gré. Mais rien n’arrête le mariage des enfants qui subissent des pressions.

En vertu de la Constitution, le gouvernement fédéral est responsable de l’adoption des lois sur le mariage. Les gouvernements provinciaux sont responsables de l’adoption des lois qui établissent les procédures de célébration du mariage, y compris le processus d’accréditation des officiers de mariage et la délivrance des licences.

Selon cette entente juridique, le Parlement est, en principe, responsable d’établir l’âge du mariage. La Chambre des communes a exercé ce pouvoir en 2015 lorsqu’elle a promulgué un amendement à la Loi sur le mariage civil qui fixe à 16 ans l’âge minimum pour le mariage au Canada. Avant cette législation, les tribunaux canadiens permettaient aux provinces de fixer leurs propres limites d’âge.

Mais la législation de 2015 n’est pas allée assez loin, car elle n’a pas fixé la limite d’âge au même seuil que l’âge adulte légal. Un comité parlementaire de l’époque avait proposé que le Canada fasse passer la limite d’âge à 18 ans, mais le gouvernement n’a pas adopté cette recommandation. Si le Parlement limitait le mariage aux adultes, cette loi prévaudrait constitutionnellement sur toute loi provinciale et garantirait qu’aucune personne âgée de moins de 18 ans ne puisse se marier au Canada. Mais le gouvernement ne l’a pas encore fait.

La législation fédérale actuelle est également problématique parce qu’elle a créé un fossé entre les droits de la personne que le Canada défend à l’étranger et ce que nous tolérons chez nous.

En 1981, le Canada a ratifié la Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. En 1994, un comité des Nations Unies créé en vertu de cette convention a adopté une recommandation sur « l’égalité dans le mariage et les relations familiales », déclarant que « l’âge minimum du mariage devrait être de 18 ans… Le mariage ne devrait pas être autorisé avant que [deux personnes] aient atteint la pleine maturité et la capacité d’agir. »

Le Canada est un État partie à cette convention, et les recommandations générales de ce comité sont considérées comme des déclarations faisant autorité sur les obligations juridiques assumées par ses adhérents.

Des efforts parlementaires sont en cours pour renforcer les mesures de protection juridique des enfants sous l’influence d’adultes qui les exploitent. Deux projets de loi qui s’attaquent à différents aspects de la mise en danger sexuelle des enfants sont le projet de loi C-291, un projet de loi d’initiative parlementaire qui propose de modifier le Code criminel en criminalisant l’impression, la possession et la publication de matériel d’abus pédosexuels, et un projet de loi privé du Sénat (S-210) qui, s’il était adopté, rendrait illégal de mettre du matériel sexuellement explicite à la disposition des jeunes en ligne à des fins commerciales.Nous devons, en tant que pays, adopter des lois supplémentaires pour protéger les enfants, notamment en portant à 18 ans la limite d’âge pour le mariage. Dans le cadre de la Politique d’aide internationale féministe du pays, Affaires mondiales Canada a promis « d’autonomiser les femmes et les filles et de promouvoir l’égalité des sexes dans tous nos efforts de développement international ». Le ministère offre également des séances d’information à l’étranger aux chefs religieux et communautaires pour les sensibiliser aux risques inhérents au mariage des enfants. Par conséquent, le fait de permettre les mariages d’enfants au Canada sape les efforts déployés par le pays pour s’attaquer au problème à l’échelle internationale. Cette incohérence diminue la crédibilité du Canada.

Une étape importante pour protéger les enfants de l’exploitation à l’échelle mondiale est de veiller à ce que la protection des enfants dans ce pays corresponde à notre rhétorique sur les droits humains à l’étranger.

La loi fédérale doit changer – le mariage des enfants ne devrait en aucun cas être sanctionné au Canada. Un point c’est tout.